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L’apport de la méthode LEGO® SERIOUS PLAY® à la fabrique de stratégie

Lego Serious Play

Les paradigmes et méthodes stratégiques classiques (analyse concurrentielle, planification, etc.) qui ont longtemps dominé le champ académique et influencé les dirigeants sont désormais remplacés par l’émergence de nouvelles approches telles que l’open innovation, la coopétition, la stratégie Océan Bleu, etc. La diffusion et l’adoption en masse de ces processus stratégiques répond évidemment à de nouveaux contextes hyperconcurrentiels provoquant de fortes ruptures sur les marchés et remettant ainsi en cause les positions stratégiques établies. Dit autrement, le monde a changé et il faut réinventer la manière de faire la stratégie.

 

Parallèlement, émergent de nouveaux outils, techniques et méthodes d’aide à la fabrique de la stratégie : le design thinking, la modélisation, les business models canvas, Ux design, etc. Dans cet univers, les approches dites « gamifiées » semblent se distinguer en raison notamment de leur dimension collective mais aussi de leur côté ludique et moins austère que des outils plus traditionnels. L’idée est de s’appuyer sur des jeux sérieux (serious game) pour faciliter le partage de connaissances, l’apprentissage mais aussi la fabrique de la stratégie. Parmi un panel très diversifié, l’approche Lego Serious Play ( LEGO® SERIOUS PLAY® ou LSP) nous semble mériter un intérêt particulier.

 

 

Une démarche créée pour résoudre une question stratégique

 

 

L’approche Lego Serious Play a été développée dans les années 1990 par la firme LEGO® elle-même, contrainte de réinventer son propre modèle de développement. Initiée, testée, formatée en association avec l’IMD Business School de Lausanne puis le MIT (Boston), la méthode fut pensée pour proposer un nouveau processus d’émergence de la stratégie par la manipulation des briques LEGO®.

 

Le principe est en apparence relativement simple : en utilisant des briques LEGO®, les membres d’un groupe peuvent co-construire collectivement une stratégie et envisager des scénarii via un processus de questionnement, construction / déconstruction, et de partage des représentations. La méthode permet ainsi de générer des idées stratégiques, de les modéliser puis de jouer / tester leur robustesse en fonction des scénarii envisagés.

 

La méthode apparait en ce sens comme un outil de réflexion stratégique puissant permettant d’imaginer de nouvelles stratégies visant à inventer la manière dont l’organisation se comportera dans le jeu concurrentiel : « en assemblant tous nos modèles LEGO® nous avons bien mieux compris ensemble comment appréhender les différents paramètres de notre environnement externe pour déployer notre solution » (Alain, Directeur commercial d’une startup dans les systèmes de sécurité). Elle s’inscrit dans une perspective systémique, dans laquelle chaque acteur comprend le système dans son ensemble avec ses composantes (modèles LEGO®), interdépendances (liens avec des éléments en LEGO®), ses multiples perspectives et angles de vue (construction physique en 3D), ses contextes fluctuants, etc.

 

 

Manipuler physiquement pour mieux concentrer son énergie et penser ensemble la stratégie

 

 

L’intérêt majeur de cette approche réside dans la modélisation physique et co-construite d’une stratégie qui peut ensuite être discutée, amendée, testée et dont on peut déduire des principes directeurs simples qui guideront l’action. Initialement, sa création repose sur l’observation de l’incapacité des membres des équipes au travail (opérationnelles comme dirigeantes) de mobiliser leur énergie au même moment, dans le même espace pour résoudre ensemble la même question complexe.

 

La manipulation des briques sert à « penser avec les mains », ce qui permet de laisser libre court à l’imagination et à l’intuition. Le modèle LEGO® apparait alors comme un médiateur de la conversation stratégique : il est un espace de discussion, il permet de partager des représentations, de trouver un langage commun, de produire de la connaissance commune, etc.

 

Ce nouveau langage, multiculturel, permet d’adresser des questions issues de domaines « matériels » (ex. stratégie d’une entreprise de plasturgie) comme des problématiques dans des domaines dits « intellectuels » (ex. stratégie de couverture d’un risque de change dans le secteur financier) dans des temps records sans débats inutiles.

 

La création de connaissances nouvelles se fait ainsi physiquement par le recours au langage métaphorique. « Je ne pensais pas que l’on pourrait se comprendre et construire la complexité de notre problème entre nos 5 pays et tous nos métiers différents avec ce jeu » (Frédéric, contrôleur de gestion d’une multinationale). L’incarnation de chaque idée par un modèle LEGO®, explicitée, permet de fabriquer une perception commune des problématiques stratégiques.

 


 

Combiner Lego Serious Play avec les nouvelles technologies pour accompagner les transformations digitales

 

 

1èreutilité de l’approche LSP : construire sa stratégie digitale

 

Par la matérialisation des idées en objet physique, l’approche LSP facilite également les réflexions en cours dans de nombreuses organisations qui ne savent comment aborder le défi de leur transformation digitale. Elle permet là encore d’appréhender cette problématique de façon collective et systémique pour imaginer collectivement un futur possible à partir d’une page souvent blanche (cf. Olivier Zara – La stratégie du Thé) où l’on distinguera : les acteurs, les processus, les outils, les ressources, les interdépendances, etc.

 

2èmeutilité de l’approche LSP : combiner les idées avec les outils digitaux

 

De la même façon que l’approche LSP est par nature tranverse et peut être mixée avec d’autres approches récentes (business model canvas, design thinking …), son application peut donner lieu à marier construction d’un système LEGO® en 3D avec un outil de captation digital de l’information et du sens. L’intégration d’outils technologiques tels que Klaxoon, Stormz voire Whatsapp …, peuvent par exemple donner davantage de flexibilité encore au processus. En échangeant et en capitalisant les réflexions, l’outil peut jouer le rôle de réservoir de connaissances en archivant l’ensemble des différentes phases de l’atelier. Les participants peuvent ainsi revenir ultérieurement sur leurs échanges, leurs propos et leurs différentes décisions. « Sans papier et crayon, nous avons joué, réalisé un vrai diagnostic, imaginé plein de solution avec les LEGO® et ce soir nous repartons avec toutes nos idées en photos et dans un rapport terminé chacun sur notre smartphone. » (Sandrine, chef de projet, groupe pharmaceutique)

 

 

Une nécessaire régulation 

 

 

Aujourd’hui, arrivée à maturité la méthode Lego Serious Play s’enseigne et son recours se démocratise tant en France qu’à l’étranger par des facilitateurs externes ou internes aux organisations. Comme ce le fut pour d’autres approches de nombreux intervenants l’utilisent comme seul outil de différenciation. Rappelons néanmoins que l’outil seul n’est pas porteur de sens ; c’est parce qu’il est mis en action qu’il acquiert un sens et donne du sens à ce pour quoi il est prévu : la fabrique de la stratégie.

 

Compte tenu de la complexité des questions stratégiques des organisations et de la complexité émotionnelle des acteurs qui fabriquent la stratégie, le recours à la méthode et aux outils LSP exige une qualité de facilitation professionnelle. Il faut en effet rester attentif au processus de facilitation qui encadre la méthode, qui ne doit pas être utilisée « à la légère » tant elle peut se révéler puissante dans sa capacité à faire émerger les représentations individuelles et collectives. « Les animateurs ont été indispensable pour aboutir à notre résultat. Ils nous ont contraint à respecter le timing tout en nous poussant dans nos retranchements et en parfait bienveillance pour expliquer nos modèles. » (Annie, responsable sinistres, compagnie d’assurance).

 

Le processus de régulation est essentiel pour garantir l’émergence des représentations individuelles et collectives, la co-construction et la prise de décision dans de nouvelles formes de consensus. Une préparation insuffisante, une absence de formalisation des objectifs poursuivis, une programmation approximative, un manque de rigueur dans l’application de l’approche, une défaillance dans la régulation des échanges constituent autant de sources de conflits, de blocages ou de résistances.

 

Au-delà donc de son caractère ludique, cette démarche est structurée par des règles explicites et un objectif initial prédéterminé. Elle sert donc à penser la stratégie, à se projeter et à « jouer » son opérationnalisation. Sa mobilisation ne garantit pas le succès de la stratégie, mais facilite sa construction et par extension son appropriation collective au service de l’action.

 

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Denis  Chabault, Maitre de Conférences, Université Paris Sud, en charge de l’activité conseil par la recherche au sein du cabinet Reliences et Certified LEGO Serious Play Facilitator

 

Patrice Lerouge, consultant et facilitateur, associé Cabinet Reliences et Certified LEGO Serious Play Facilitator

 

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