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La révolution digitale n'est pas celle que l'on croît généralement.


 

La révolution digitale est l’objet de nombreuses confusions qui peuvent empêcher d’en saisir les fondements et d’appréhender dans toute leur ampleur les bouleversements à l’œuvre ou à venir. Dans « l’âge de la multitude », Henri Verdier et Nicolas Colin font l’analyse que la révolution digitale est avant tout une révolution économique et sociale, à ne pas confondre avec la révolution technologique qui a déjà eu lieu. L’hypothèse développée par les auteurs est que les conséquences les plus profondes de la révolution technologique résident dans la façon dont les individus et la société se sont emparés des nouvelles ressources technologiques. Par les usages qu’ils en font, ils acquièrent collectivement une nouvelle puissance et un nouveau pouvoir qui s’exercent et se déploient à l’extérieur des organisations et des institutions : c’est ce que les auteurs nomment la puissance de la multitude, facteur d’une transformation profonde.

 C’est en cela que toute organisation est concernée par la révolution digitale, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une association ou d’un syndicat, d’un service public ou de l’état. Il en est de même de tous les métiers. Sous peine de disparaître, chaque organisation ou institution devra apprendre à se mouvoir dans ce nouvel environnement et à faire alliance avec les individus qui composent cette multitude qu’ils soient clients, usagers, adhérents, salariés ou citoyens.

 Que vous soyez sceptique ou enthousiaste, je vous conseille cette lecture très instructive sur le monde de l’économie numérique. Si vous n’en avez pas le temps, sans prétendre au résumé, je vous propose de partager quelques points essentiels et enseignements que j’en ai retirés.

 

1 Ne pas se tromper de révolution…

 La révolution technologique s’est produite pour l’essentiel durant les années 1990 à 2010. Elle s’est traduite par l’expansion de nouvelles technologies de communication et d'échanges dites numériques (par exemple, internet haut débit, applications mobiles, médias sociaux, cloud computing, objets connectés…) en même temps que la puissance de ces technologies augmentait et leur coût diminuait. On peut presque dire qu’elle relève du passé.

La révolution digitale est d’une autre nature et fait l’objet de nombreuses confusions notamment :

  •  L’assimilation de la révolution digitale au monde des start-up sous entendant que les acteurs de l’économie traditionnelle ne sont pas concernés,
  • La réduction de la révolution digitale à sa dimension technologique signifiant par là que la transformation digitale est une affaire de technologie et qu’il serait suffisant de digitaliser des processus internes, de développer sa présence sur les réseaux sociaux pour se tirer d’affaires.

 Enseignement N° 1 :

 L’adoption des technologies numériques comme l’informatique en son temps est en quelque sorte le « minimum syndical » pour toute organisation mais cela n’assure en aucun sa transformation digitale et son adaptation à l’économie numérique.

 

 2 La révolution digitale : une révolution sociétale

 La révolution digitale est la conséquence de l’introduction des technologies numériques dans la société. Le public les a adoptées à une vitesse inconnue jusqu’à présent, plus rapide que le renouvellement des générations, un mouvement qui concerne l’ensemble de la société et pas seulement les nouvelles générations. Les technologies numériques ont en quelque sorte agi comme un libérateur pour les individus et la société, leur donnant la possibilité de déployer toutes leurs capacités de création et de communication, trop longtemps contenues et bridées dans les structures traditionnelles que ce soient des entreprises ou des institutions. C’est un véritable déchaînement qui s’est emparé de la société et qui la modifie en profondeur : non seulement elle agit avec l’explosion des blogs, des partages de contenus, de ses activités de notation ou encore du social networking mais aussi elle se réinvente avec de nouvelles valeurs, règles et mode de fonctionnement par exemple en redéfinissant la façon dont s’instaure la confiance. Dans ce flux permanent qui sollicite les individus, il devient de plus en plus difficile de capter leur attention et il faudra atteindre un haut niveau de qualité pour cela et faire la différence.

 

Enseignement N° 2 :

La révolution numérique en libérant les capacités de création et de communication des individus, qui se constituent en communautés mobiles et reliées, a fait émerger une nouvelle puissance et un nouveau pouvoir qui se déploient à l’extérieur des organisations et des institutions. Non seulement le pouvoir a changé de camp mais il y a désormais beaucoup plus de créativité et d’intelligence à l’œuvre en dehors des organisations qu’à l’intérieur de celles-ci.
Faire du numérique sans prendre en compte cette nouvelle donne, c’est se condamner au mieux à un appauvrissement en restant cantonné loin du consommateur ou de l’utilisateur, au pire à disparaître.

 

 3 Un nouvel actif et une nouvelle façon de créer de la valeur :

 Dans l’économie « traditionnelle », la création de valeur repose sur les facteurs de production que sont le capital et le travail. Dans l’économie numérique, un autre facteur de création de valeur tout aussi déterminant est apparu : celui de la multitude à savoir l’ensemble des individus (consommateurs, citoyens, adhérents, usagers, etc.) et leur capacité à créer de la valeur de leur propre initiative sans être employés ou mandatés par quiconque. Les entreprises de l’économie numérique l’ont bien compris avant tout le monde en utilisant à la fois le capital humain inexploité au sein de la multitude mais aussi en mobilisant le capital matériel détenu par cette multitude.

 La mise en œuvre gagnante de cette stratégie de captation de la puissance de la multitude a conduit à l’émergence des géants que tout le monde connaît, en un temps record et sans que personne ne l’ait véritablement anticipé. Ces sociétés numériques ont par ailleurs acquis une valeur absolument phénoménale et totalement mystérieuse si l’on en reste aux critères classiques d’évaluation des entreprises dans l’économie traditionnelle : comment comprendre selon ces critères les valorisations respectives de AirBnb et d’Accor à l’avantage d’AirBnb, quand la première ne possède rien et la seconde dispose du plus grand parc hôtelier au monde ?

 

Enseignement N°3 :

 La révolution digitale modifie la perception de la valeur des choses, des biens et des services, elle défie la conception classique de la valeur et on ne peut comprendre l’économie numérique sans intégrer l’apparition d’un nouvel actif immatériel dont la valeur repose sur la contribution des individus et qui est au moins aussi important que les actifs matériels ou immatériels que sont les brevets ou les marques. Pour réussir demain ou simplement rester dans la compétition, il faudra s’attacher à utiliser ce nouveau facteur de production c’est-à-dire à capter la puissance d’innovation et de création de la multitude.

 

4 Un défi pour les acteurs de l’économie « traditionnelle »

 Ce qui caractérise les acteurs de l’économie numérique, ce n’est pas seulement d’avoir compris avant tout le monde la transformation de la société et d’avoir déployé une stratégie de captation de la valeur créée par les individus à travers les usages qu’ils développent, c’est aussi de mettre en œuvre cette stratégie avec une approche totalement nouvelle dont les déterminants sont notamment :

  •  Une capacité et une détermination impressionnante à être centré sur les besoins de l’utilisateur et à y répondre, à s’intéresser davantage à l’usage qu’à la possession,
  • Une logique de rupture et d’innovation permanente en cycle court,
  • Une ouverture sur l’extérieur et de nouveaux modes de coopération par exemple en mettant leurs ressources à disposition de l’extérieur comme Amazon avec sa plateforme de e-commerce,
  • De nouvelles organisations internes, d’autres modes de management et un autre système de valeurs.

 Les acteurs de l’économie « traditionnelle » sont ainsi confrontés à un défi immense où presque tout est remis en cause et où ils doivent « entrer dans un régime de création de valeur, dans une organisation du travail, dans un fonctionnement économique et social complètement renouvelés » selon les mots de Bernard Stiegler. Ils vont devoir notamment refonder leur rapport et leur relation au consommateur pour les industries et services, avec le citoyen pour les services publics et l’état, avec les adhérents pour les associations, la liste est longue.

 

Conclusion :

 L’ère de la multitude est un ouvrage qui date déjà de quelques années et que les auteurs ont mis à jour en 2015, sans y apporter de modifications substantielles tant l’hypothèse qu’ils y ont développée semble se vérifier tous les jours dans les faits. Il reste aux acteurs de l’économie « traditionnelle » à se réinventer pour eux aussi et d’une manière qui leur est propre faire alliance avec leurs clients, utilisateurs et partenaires et capter en partie la puissance de la multitude.
Se réinventer, c’est d’abord ne pas chercher à faire du neuf avec du vieux c’est-à-dire utiliser le numérique en ignorant les nouvelles règles du jeu de l’économie numérique. Se réinventer, c’est accepter de revoir toute son organisation et son fonctionnement, révolutionner les pratiques managériales, revisiter l’ensemble des fonctions puisque toutes sont affectées par la révolution en cours, la liste n’est pas exhaustive, loin de là. Opérer ce type de transformation relève du temps long et demande plusieurs années pour être conduit à son terme alors il est préférable de ne pas tarder pour se lancer.

 

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